On assiste à un inquiétant déclin mondial des populations de tortues marines en raison de l’augmentation des activités humaines. Six des sept espèces de tortues marines, dont notamment la tortue luth, sont en danger d’extinction.
Jusqu’à présent les mesures de conservation se sont essentiellement concentrées sur la phase terrestre de leur cycle de vie, c’est-à-dire sur la protection des tortues durant leur saison de ponte.
Ces mesures se sont cependant révélées insuffisantes pour enrayer la diminution des populations, ce qui montre que le problème majeur est celui de l’interaction entre tortues marines et pêcheries.
Cependant, l’écologie en mer des tortues marines est encore trop mal connue pour bien comprendre cette interaction et donc définir les mesures à prendre.
Outre son statut inquiétant, la tortue luth est celle des tortues marines qui présente la plus large distribution. La localisation de ses sites de ponte, ainsi que la grande étendue de ses déplacements qui est suggérée par les re-captures d’individus bagués, font d’elle un modèle privilégié pour améliorer nos connaissances sur les stratégies de déplacement des tortues marines.
Le nombre de femelles de tortues luths venant pondre sur la plage d’Awala-Yalimapo en Guyane décroît depuis 1993. Comme c’est le principal site de ponte au monde de cette espèce, la responsabilité de la France est engagée.
Mes travaux sont en accord avec l’hypothèse que ce déclin est en grande partie lié aux captures accidentelles que génèrent les activités de pêcheries côtières. En effet, le suivi par satellite de femelles entre les pontes successives d’une même saison indique qu’elles se dispersent jusqu’à la limite du plateau continental.
On peut ainsi délimiter une zone de répartition principale de 40 km de rayon centrée sur 5,9°N et 53,9°O, soit environ 5000 km². Cette zone est située dans la région transfrontalière avec le Surinam, dans des eaux d’une profondeur inférieure à 30 m, et on pourrait envisager d’en faire un espace protégé. Une alternative, présentant l’avantage de préserver les pêcheries, serait des méthodes de pêche n’entraînant pas une mortalité accrue des tortues luths.
Après la saison de ponte, certaines femelles ont été suivies sur plus de 10000 km et sur des périodes pouvant atteindre 16 mois. Les résultats montrent que les femelles n’utilisent pas de corridors comme ceci a été observé pour d’autres populations de tortues luths nidifiant sur les plages du Costa Rica ou d’Afrique du Sud. En effet, les femelles montrent une grande plasticité comportementale avec au moins trois principaux schémas de dispersion : à l’Ouest, au Nord et à l’Est.
Contrairement à ce qui a été suggéré par d’autres auteurs, d’après la vitesse de déplacement des tortues et leur nage éventuellement à contre-courant, il s’avère également, que les femelles ne se laissent pas passivement transporter par les courants. Par contre, elles suivent probablement les méduses qui s’accumulent le long des lignes de courant.
Nos résultats suggèrent également que les femelles se nourrissent principalement sur le bord froid des anomalies d’eau chaude observées à méso-échelle. Or, ces zones sont connues pour être très productives et donc fortement exploitées par les pêcheries ciblées sur le thon et l’espadon.
Ceci expose par conséquent les tortues luths à un nouveau risque de captures accidentelles entre deux saisons de ponte.Outre ces aspects de conservation prioritaires, les résultats présentés dans ce travail amènent de nouvelles questions sur des aspects peu étudiés de cette espèce. Notamment concernant les conséquences de la variation des facteurs océaniques sur leur stratégie d’alimentation et de reproduction.